Où l'on revient sur un film monté par deux inconnus devenu, depuis, un classique des années 90. Et qui rappelle au passage qu'à Hollywood, on n'est jamais mieux servi que par soi-même...
Il faudra un jour remercier la bonne étoile qui a encouragé Matt Damon à persévérer dans ce qui était, à l’origine et semble-t-il, un devoir d’écriture, du temps où le futur interprète de Jason Bourne était jeune étudiant à Harvard. Ce qui devait être une pièce en un acte est devenue un jet d’une quarantaine de pages pour un script qui, quelques années plus tard, allait rafler l’Oscar du meilleur scénario. Lorsqu’on sait que Will Hunting a bel et bien failli être un thriller, on se demande à quoi aurait ressemblé le monde sans un Robin Williams attendant le ticket gagnant d’une loterie quelconque tout en débattant avec Stellan Skarsgard au sujet d’Albert Einstein, sans Matt Damon remettant avec panache un étudiant imbuvable de pédantise ou sans que ce même monde puisse (re)découvrir, enfin, un songwriterrépondant au nom d’Elliott Smith. Hollywood n’aimant rien d’autre que les success story, celles où l’on part de rien pour triompher en misant sur l’endurance, Will Hunting sera aussi le sacre de deux inconnus (lesquels ? comment ça lesquels ? Matt Damon et Ben Affleck enfin, prenez des notes je ne vais pas répéter!) qui, courant les castings pour ne décrocher que des troisièmes ou quatrièmes rôles de figuration, écriront un film sur mesure pour que le monde soit témoin de leurs talents.
De talents tiens, non seulement le film de Gus Van Sant en regorge mais jamais il n’en fera l’ostentatoire étalage; ce qui le rend d’autant plus important si ce n’est infiniment précieux. Sans doute est-ce dans cette manière d’appréhender les conventions du récit d’apprentissage, c’est-à-dire avec du cœur et une confiance en l’intelligence du spectateur, que Will Hunting a gagné ses galons de classique et qu’il fait partie de ce club de films, assez restreint il faut le reconnaitre, que l’on peut revoir à l’infini sans se lasser. Toutefois, avant d’en arriver au déballage d’éloges personnels qui nourrissent mon amour non démenti envers ce film depuis ma première fois, petit résumé rapido presto de l’œuvre du jour dès le paragraphe d’en dessous après, si vous le voulez bien et histoire d’être dans l’ambiance, avoir écouté le thème principal du film écrit par Mister Danny Elfman.
Jeune homme de Boston, Will Hunting tue le temps entre deux bières avec ses copains en faisant le ménage. Mais pas n’importe où : Will nettoie les sols du MIT, école prestigieuse qui forme les esprits de demain susceptibles de changer le monde avec une formule. Will est un orphelin et un génie, un autodidacte qui a trouvé dans les livres de mathématiques un équilibre et un épanouissement inattendus. Preuve en est qu’il résout en secret un exercice proposé publiquement aux étudiants; exercice que, nous autres, qualifierons de “très très très compliqué”. Problème (no pun intended): condamné pour un litige de trop, Will, délinquant à ses heures, verra sa peine purgée s’il accepte d’être sous la tutelle du professeur de mathématiques ayant proposé le dit exercice sus-nommé et…de suivre une thérapie. Le film peut commencer.
Gus Van Sant illustre comment Will repousse la perspective de s’émanciper de son entourage, lui-même assujetti à la problématique du choix.
Récit d’apprentissage disais-je, modèle d’excellence narrative également, Will Hunting passe haut la main le passage des ans. Probablement pour la raison simple mais suivante: son intrigue pourrait se passer n’importe où, n’importe quand, il fonctionnerait malgré tout. Pourquoi ? Eh bien, et c’est sans doute à cela que l’on reconnaît les classiques, parce que le film repose avant tout sur une quête de soi(s). Car si le récit tend d’abord à désamorcer le magma conflictuel inhérent au personnage de Will, figure certes géniale mais d’une attachante suffisance (vous remarquerez que j’étais tenté de dire “tête à claques” mais que j’ai subterfugé la phrase), Gus Van Sant illustre comment Will repousse la perspective de s’émanciper de son environnement. Professionnel, identitaire, personnel, sentimental…peu importe au final l’étiquette que l’on pourra substituer, Will est, en quelque sorte, prisonnier de son propre parcours.
Mec, laisse tomber l'Oscar est pour moi...
Si le point de levier de cette possible émancipation semble, de prime abord, être Gerald Lambreau, le mathématicien qui sort pourtant Will de la mouise (on évoque rarement, et malheureusement, le rôle ingrat qu’occupe Stellan Skarsgård avec pourtant beaucoup de justesse), c’est l’épatant Sean Maguire (interprété par le non-moins épatant Robin “Magic” Williams) qui, sous couvert d’une méthode faite de patience et de confiance, finira par fissurer les blocs protecteurs du jeune homme. De fait, dès lors que Will choisit d’agir en faisant fi du regard des autres, donc de s’exposer, la façon dont vont se débloquer les choses pour les différents protagonistes est patente. De manière visible, du moins immédiate à l’écran (je ne peux en dire davantage pour les personnes qui n’auraient pas eu la chance de voir ce grand film tout bonnement inoxydable), nous ne saurons jamais si lechoix de Will est le bon. En existe-t-il d’ailleurs réellement un seul de bon ? Vous avez deux heures.
Le film ne donnera d’ailleurs volontairement aucune réponse, et c’est ce qui fait d’elle l’une des plus réussies qui existe. Dans l’ensemble, Van Sant nous laisse supposer que les personnages iront de l’avant. S’il fallait lire une interprétation, voire une morale quelconque dans cette histoire de mouvements, c’est celle-ci: aller de l’avant, c’est prendre un risque. Celui de vivre, en somme.
Alors, après cette phrase quelque peu ostentatoire - mais que vous me pardonnerez sans doute- il était hors de question de ne pas conclure en beauté, et en musique, avec la chanson phare de ce magnifique chef-d’œuvre.
QUELQUES NOTES EN VRAC ET EN PLUS:
Matt Damon et Gus Van Sant retravailleront ensemble à deux occasions et pour deux excellentes productions: Gerry et Promised Land.
Porté par le triomphe commercial de Will Hunting, Gus Van Sant se fera un petit kiffrefaisant quasiment plan par plan le Psychosed’Alfred Hitchcock. Il sera bien seul à apprécier l’exercice.
Si Robin Williams sera récompensé, à juste titre, de l’Oscar du meilleur second rôle, toute la distribution de ce grand film est à l’avenant. Certains tomberont en désuétude (suivez-mon regard vers Mimi Leder), d’autres attendront sagement leur heure pour récupérer la lumière (dans la famille Affleck, je demande le frère Casey) et une carrière qui fera même de l’ombre à l’ainé.
Il faudra attendre plus de vingt ans avant que le duo Affleck/Damon ne réunisse leurs plumes. Et pour Le Dernier Duel. Beaucoup beaucoup moins fun que Will Hunting.