Où l'on revient sur l'une, si ce n'est l'adaptation définitive d'un classique culte de la littérature.
Pour commencer, on excusera mon absence de ces dernières semaines: ayant été attelé à d’autres projets, dont l’un s’intitule communément la vie, je n’ai guère eu le temps d’alourdir davantage votre boite mail avec une nouvelle recommandation. Je reviens néanmoins avec un dernier tour de piste pour l’année 2024 qui fera office de cadeau surprise. Avec, cerise sur le gâteau de la tablée près du sapin, un film de circonstance pour cette période de fêtes.
Pour cela, revenons en arrière de trois décennies avec une piqûre de rappel qui servira de préambule à notre film du jour : au cinéma, eta fortiori à Hollywood, 1994 fut un excellent cru pour aller dans les salles obscures déguster des films entre deux bouchées de pop corn. Jugez plutôt: Le Roi Lion, Forrest Gump, Pulp Fiction, The Shawshank Redemption, The Mask, The Crow… soit toute une ribambelle de films devenus des sujets de discussions incontournables dans les cours de récré, avant d’être éditées en cassettes vidéos vedettes transportées de cartables en cartables et poncées jusqu’à plus soif dans ce que l’on appelait avant des magnétoscopes; regardez dans le dictionnaire c’est un vrai mot. Bref. Dans tout ce maelstrom dont les embruns cinématographiques sentiront bon la nostalgie pour certains lecteurs venus pousser les portes de la maison, il y eut une nouvelle adaptation de Little Women, classique des classiques de la littérature maintes fois transposé, que ce soit sur scène, petit et grand écran.
Alors “Pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ?” me demanderez-vous, histoire de relancer la conversation et l’article. Premier élément de réponse: il s’agit de la première adaptation entièrement supervisée par des femmes. ExitGeorge Cukor et William Wyler avec leurs visions déjà passéistes à l’époque, et welcome Denise DiNovi à la production, Robin Swicord au scénario et Gillian Armstrong à la réalisation. Pour la petite histoire, et parce que justement le projet d’adaptation était, selon les pontes de la Columbia, orchestré par “trop de femmes”, le film ne put voir le jour que grâce à Winona Ryder qui accepta le rôle de Jo. Ce qui me permet d’effectuer la transition vers le deuxième élément de réponse : le cast. Jugez plutôt (bis): Winona Ryder donc, Claire Danes, Christian Bale, Kirsten Dunst, Susan Sarandon, Gabriel Byrne… la fine fleur des années 90 vient ici défiler sous le regard amoureux d’une caméra qui parfait sur pellicule leurs imparables et monstrueux talents. Troisième élément de réponse: la musique. A l’époque, Thomas Newman n’est pas le futur compositeur de La Ligne Verte, American Beauty ou du Monde de Nemo mais il est déjà un mélodiste talentueux qui magnifie la mélancolie et le romantisme comme personne.
Comprendre donc par là que découvrir Les quatre filles du Dr March (note pour moi-même: rédiger un article sur les traductions plus ou moins aberrantes) de cette manière, avec tous ces éléments et tous ces talents combinés pour le meilleur, constituait une porte d’entrée parfaite pour s’immerger dans ce qui demeure, encore aujourd’hui, un ouvrage trop souvent cantonné à la littérature de jeunesse. Exemple musical à l’appui ci-dessous:
Grandir est avant tout une histoire de saisons qui passent. Et qui passent plus vite que les rêves que l’on projette.
S’il y a bien une chose que cette adaptation a compris, c’est que Little Women n’est pas - comme certains pourraient l’affirmer dans les hautes sphères de la critique- une œuvre pour midinettes. C’est, d’abord, une chronique familiale où brillent des protagonistes imparfaits faisant de leurs mieux. C’est ensuite, et surtout, un splendide récit d’émancipation dans lequel Josephine March, communément appelée Jo dans son cercle de proches, tente de trouver sa place dans un contexte historique particulier (la guerre de Sécession, révélateur symbolique d’un pays morcelé).
Femme au caractère extraordinaire, Jo est une figure de fougue dont le tempérament ne cadre guère avec les conventions étriquées de son époque. Empreinte d’une liberté qui ne sied pas à l’image conservatrice que l’on (comprendre les hommes) se fait des femmes, Jo dit haut ce qu’elle pense. N’est maladroite que parce qu’elle sort des sentiers battus. Refuse une demande en mariage. Fait preuve d’ironie et donc d’un charme spontané. Et puis Jo écrit. Jo écrit beaucoup. Pour ses sœurs d’abord, pour elle ensuite, pour être reconnue enfin; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle choisira volontairement de garder son surnom, à consonance masculine, afin de se frayer un chemin dans l’univers bondé de la littérature.
Ce faisant, elle devra choisir de quitter le foyer. De quitter ses soeurs, Marnie, un père relativement absent, et, de fait, d’accepter que le Destin se charge du reste. Qui dit reste dit les aléas divers que la vie peut offrir. Grandir est avant tout une histoire de saisons qui passent. Et qui passent plus vite que les rêves que l’on projette. C’est comprendre, réaliser presque, qu’il va falloir abandonner les terres de l’enfance pour explorer les contrées mouvementés de l’âge adulte. En retranscrivant ces tourbillons émotionnels avec une délicatesse exemplaire, une sensibilité qui n’a d’égale importance que la poésie du temps qui court, cette adaptation insuffle une forme de spleen et de romantisme qui touche le coeur du spectateur venu (re)trouver des personnages tous foncièrement généreux. Et de réaliser, même après moult visionnages, d’être sans cesse ému, sans doute parce que chacun de nous est un membre de la famille March.
QUELQUES NOTES EN VRAC ET EN PLUS:
Alors, histoire que vous puissiez briller en société mais sans trop aveugler votre auditoire, Denise DiNovi à la production c’est Edward aux mains d’argent ou Batman returns et l’on doit notamment à Robin Swicord les scénarios de plusieurs autres excellentes adaptations telles que Matilda, Mémoires d’une geisha ou L’Etrange Histoire de Benjamin Button.
Parmi le cast déjà bien solide sus-cité, ajoutons les notables seconds rôles tels que Eric Stolz et John Neville pour ce qui est de la distribution masculine. Hugh Grant a failli interpréter le professeur Bhaer et Reese Witherspoon la version adulte de Amy.
La collection Litera, sous la tutelle des éditions Gallmeister, sortira dans le courant de l’année 2025 une belle publication reliée, traduction récente à l’appui, de ce classique mésestimé.
Merci à toutes et à tous d’avoir ouvert cette missive et lu cet article. Si celui-ci vous a plu, si vous aimez la famille March, si vous trouvez qu’Orson va bien mérite d’être connu du monde entier et au-delà, parlez-en à vos amis, vos collègues, votre coiffeur, votre voisin ou votre oncle raciste. On se retrouve dans le futur. D’ici là, passez de bonnes fêtes !
Jeoffroy