Où l'on profite du 25ème anniversaire de la sortie du premier album de Ryan Adams pour s'attarder sur...eh bien, le premier album de Ryan Adams.
En l’an de grâce 2000, Ryan Adams a 25 ans, une chevelure brune follement hirsute et déjà une propension insolente à livrer des chansons d’un calibre épatant aussi facilement que d’autres parviennent à faire du jogging sans se payer une crise d’asthme spontanée. Ou à se brosser les dents sans en égratigner l’émail. Ou n’importe quelle activité qui vous semblerait à votre portée sans d’insurmontables efforts. Bref. Trois albums de Whiskeytown, précédente et précieuse formation dans laquelle Adams peaufine son art du storytelling, auront fait du folkeux de Jacksonville une étoile à surveiller du regard dans le ciel bondé de ce que l’on nomme souvent - sans trop savoir la définir- la musique indé. Arrive ce qui arrive quasiment fatalement dans chaque formation musicale de jeunesse: le groupe se sépare à l’amiable, chacun pensant sans doute percer là où l’autre ira pointer au chômage. Et Ryan Adams de livrer, nonchalamment, l’air de rien et clope au bec, en guise de premier album officiel, un nouveau chef-d’œuvre; car non seulement le bougre en a déjà offert (via Whiskeytown donc, avec Strangers Almanach et Pneumonia) mais il en livrera d’autres. Qui plus est, dès son album suivant.
Pour accoucher d’aussi belles chansons, [Ryan Adams] semble avoir vécu mille vies.
Et milles ruptures sentimentales.
Alors même si les mordus de folk et de country avertis sont déjà familiers de son patronyme, il faut bien réussir à vendre Ryan Adams au public. Les critiques ayant souvent bon goût et un sens aiguisé de la formule qui fait mouche, je me souviens d’avoir lu un sticker sur le disque qui arguait quelque chose du genre: “L’album acoustique qu’aurait fait Kurt Cobain s’il était encore vivant” et de m’être dit…”Dieu, que c’est mal à-propos”. Car s’il y a une personne à laquelle vous ne pensez pas lorsque vous écoutez Ryan Adams, c’est bien Kurt Cobain. Surtout sur Heartbreaker, disque où errent davantage les échos d’un Bruce Springsteen période Nebraska, lui-même perfusé à Bob Dylan du temps où celui-ci était encore inspiré. Toutefois, ce qui étonne le plus au sujet d’Heartbreaker, étonnement persistant encore après un bon million d’écoutes sur la platine domestique, c’est cette forme d’ancienne nostalgie que l’on pourrait, de prime abord, juger ironique car trop précoce de la part d’un individu qui, pour accoucher d’aussi belles chansons, semble avoir vécu mille vies. Et milles ruptures sentimentales. Et pourtant.
Et pourtant il faut écouter Heartbreaker comme la bande son d’un de ces bons vieux tripots. A deux embardées près (Shakedown on 9th Street, To be young), ça sent le saloon, les peines de coeurs, le rade où les pelures de cacahouètes se mêlent aux pleurs des habitués venus vider leur spleen. Autant l’album suivant, Gold, pétaradera de mille feux - tout en s’octroyant une fois de plus quelques bijoux d’acoustiques dont Adams a le secret - et appellera à prendre le volant toutes vitres baissées, autant l’ambiance d’Heartbreaker est clairement celle d’une fin de soirée qui n’arrive plus à se décider de ce qui peut/doit advenir de la suite. De celles où l’on se refait le film sans vraiment vouloir entendre le barman nous répéter qu’en réalité, on a passé le stade du dernier verre depuis longtemps déjà. Il y a, on le disait dans ce premier disque, les réminiscences sonores d’un temps passé, inconnu et pourtant si familier (Call me on your way back home, Damn Sam), quelques saillies de très bon cru (Come pick me up) et, surtout, ce don quasi ironique de faire éclore l’émotion sans forcer la pose (In my time of need, merveille de délicatesse et de tendresse). Autant de marqueurs qui fleuriront au fil de sa (très très longue et prolixe) discographie et qui feront les belles heures de ses nombreux sets lives. On ne s’étonnera guère de reconnaitre alors, parmi les musiciens conviés à accompagner le bonhomme entre deux accords de guitare, de piano et de banjo, les voix divines des belles âmes que sont Gillian Welch ou Emmylou Harris.
Mais il y a surtout dans ce disque l’une des plus belles chansons qu’ait livré Ryan sur l’entièreté de son gigantesque répertoire. Celle-là même qui fait que, probablement depuis la première fois que le bonhomme a rencontré mes oreilles et mon cœur pour s’y greffer férocement depuis, il reste et restera mon chanteur préféré. En guise de conclusion et de preuve auditive à l’appui, plutôt que de vous partager sa version studio, je vous dépose ci-dessous la magnifique interprétation en public qu’il livrera entre deux galéjades au Carnegie Hall.
D’AUTRES TRUCS EN VRAC ET EN PLUS
L’infatigable Ryan Adams est actuellement en tournée anniversaire de son premier disque. Les dates de ses concerts, si d’ordinaire vous êtes d’humeur à faire un concert en dehors de l’Hexagone, sont à retrouver ici. Certaines sont déjà complètes.
Un coffret Deluxe est également sorti pour célébrer la sortie d’Heartbreaker. Je ne sais pas si vous êtes autant fan que moi du bonhomme (autant déjà vous répondre que…non) mais même moi je suis en général rarement d’humeur à écouter les démos d’artistes dont j’estime pourtant au plus haut le talent. Après, si voulez me faire un cadeau, je ne dis pas non => LIEN POUR CADEAU :)
Si jamais vous n’aviez pas croisé ma route, que je ne vous ai pas encore fatigué avec le phénix de Jacksonville, et que ce dernier vous a plu, je vous recommande chaudement d’écouter d’abord et dans l’ordre les albums Gold, Love is hell, Prisoner puis 29, Wenesdays et FM. Et parmi ses nombreux autres disques à la qualité relative, il y a évident ses publications liveplus ou moins officielles; parmi elles, l’extraordinaire Live at Carnegie Hall Deluxe (avec la bagatelle de 42 titres, car, oui, on n’a jamais assez de Ryan Adams).
Sinon, pour la petite histoire, ne trouvant pas rien pour intituler son album, Adams, bourreau des cœurs pour de rire, choisit spontanément celui d’une chanson de… Mariah Carey, le poster de la chanteuse figurant dans les bureaux de son producteur. L’intéressé réitérera ce genre de blague en reprisant, une bonne poignée plus tard, l’entièreté de l’album 1989 de Taylor Swift.
Merci une fois de plus à celles et ceux qui se donnent la peine de bien vouloir lire mes tournures de phrases qui, une fois ensemble, ressemblent à des éloges parfois débordants. On se retrouve assez vite avec une autre (très) grande oeuvre chère à mon coeur. Petit indice (sur lequel vous pouvez pronostiquer en commentaires) désormais de circonstance ci-dessous.
A dans le futur.
Jeoffroy